Typologies des organisations

Modalités et difficultés de la construction d'une typologie des organisations

Sur le plan des principes, une bonne typologie devrait respecter au moins deux conditions :

  • la clarté des distinctions : la typologie doit permettre d'opérer une différenciation non ambiguë des catégories d'objet considérées.

  • la pertinence des distinctions : les critères utilisés pour différencier les catégories doivent renvoyer à des traits ou des propriétés que l'on a considérés comme essentiels pour définir l'objet même qu'il faut catégoriser.

Exemple

Si l'on prend le cas des entreprises, on imagine mal a priori qu'une typologie qui se baserait sur des caractéristiques physiques des dirigeants (la taille, le poids) respecte le critère de pertinence des distinctions. En revanche, prendre en compte le style cognitif (en s'appuyant par exemple sur les catégories de Jung) ou des traits de personnalité, peut déboucher sur des analyses intéressantes.

Le respect de ces exigences dans la construction d'une typologie des organisations présente un certain nombre de difficultés.

La clarté des distinctions est souhaitable, mais elle se heurte au caractère souvent hybride des organisations sur le plan de l'éventail des activités ou de la diversité des logiques de fonctionnement interne, par exemple. De ce fait, le degré auquel une organisation possède telle ou telle caractéristique peut en réalité être plus important que le fait même de la posséder.

Une autre difficulté tient au caractère évolutif du monde des organisations. Face à cette dynamique, les typologies sont toujours plus ou moins menacées d'incomplétude, voire d'obsolescence, s'il s'avère impossible d'intégrer dans une catégorisation donnée une nouvelle forme d'organisation.

Exemple

Le statut à donner à l'entreprise-réseau, et plus généralement aux arrangements coopératifs, dans une catégorisation d'entreprises et dans l'inventaire des modes d'organisation des transactions économiques, pose ainsi quelques problèmes.

Sous l'angle de la clarté des distinctions, la construction d'une typologie pose encore le problème du degré de finesse qu'il convient de retenir, ou celui du niveau d'analyse pertinent. Les catégories d'organisation constitutives d'une typologie donnée (par exemple les entreprises, les associations, les partis politiques, etc.) peuvent chacune faire l'objet d'un travail de décomposition plus fin qui peut révéler par la suite des spécificités de fonctionnement organisationnel qui seraient restées inaperçues avec une référence plus agrégée.

Exemple

En matière de typologies d'entreprises, il n'est pas rare de distinguer la catégorie des PME (Petites et Moyennes Entreprises) de celle des grandes entreprises. On conçoit bien a priori que le facteur taille induit des défis d'agencement organisationnel et de choix de modes de coordination variables, pour ne prendre que ces deux éléments. La catégorie PME peut cependant elle-même être décomposée en TPE (Très Petites Entreprises), PE (Petites Entreprises) et ME (Entreprises Moyennes), qui constituent des réalités différentes.

Le second principe que doit respecter une typologie, celui de la pertinence des critères de catégorisation à utiliser, pose également certains problèmes.

Il va de soi que les critères retenus doivent correspondre à la conception même de ce qu'est une organisation et à l'inventaire de ses traits constitutifs.

Le tableau suivant donne un aperçu des critères de catégorisation utilisables, conformément à cette logique, ainsi que des exemples correspondants de typologies :

Tableau 4 : Un aperçu des critères de catégorisation des organisations

ELEMENTS CARACTERISTIQUES

DES ORGANISATIONS

ELEMENTS TYPOLOGIQUES

PROPRIETES

STRUCTURELLES

Détention d'un

patrimoine

Type de propriété

Structure du capital

  • Organisations privées

  • Organisations publiques

  • Entreprise individuelle

  • Entreprise sociétaire

  • Entreprise familiale

  • Entreprise managérial

Existence de

frontières

Degré de

perméabilité

Eventail des

activités

Localisation

géographique

  • Organisations fermées

  • Organisations ouvertes

  • Organisations semi-ouvertes

  • Entreprise spécialisée

  • Entreprise intégrée

  • Entreprise diversifiée :

    • activités reliées

    • activités non-reliées

  • Entreprise locale

  • Entreprise nationale

  • Entreprise internationale

Participants

substituables

Degré de

bureaucratisation

Mode d'implication

Style de gestion

  • Calculé

  • Normatif

  • Contractuel

  • Identitaire

PROPRIETES

PROCESSUELLES

Intentionnalité

Nature de l'activité

Type de but

  • Produire

  • Rechercher

  • Enseigner

  • ...

  • Lucratif

  • Non lucratif

Fonctionnement par échanges

Type d'échange

Rapports de force

  • marchand

  • non marchand

  • organisation dominante

On a vu cependant, que ces éléments font l'objet de débats conceptuels. Par ailleurs, même lorsqu'il y a consensus sur la nécessité de prendre en compte telle ou telle dimension, il n'y a pas nécessairement convergence de points de vue quant aux modalités d'opérationnalisation ou de mesure de la dimension considérée.

Exemple

Un critère qui peut paraître évident pour catégoriser les entreprises, comme celui de la taille, s'avère en réalité délicat à opérationnaliser. Il n'y a pas nécessairement d'accord sur les seuils de taille qui doivent être retenus pour distinguer les types d'entreprises, ni sur ce qu'il faut entendre par cet élément : les effectifs, le montant du chiffre d'affaires, celui de la valeur ajoutée ?

Tout cela explique la pluralité de propositions typologiques disponibles qui diffèrent sur le plan du nombre et de la nature des caractéristiques prises en considération.

Sur le plan du nombre de caractéristiques permettant de distinguer différentes formes d'organisation, on peut opposer les typologies unidimensionnelles et multidimensionnelles.

Les premières retiennent un seul élément, considéré comme le plus significatif, et classent les organisations en fonction des différentes modalités selon lesquelles cet élément peut se manifester.

Exemple

Par exemple, on distinguera les organisations selon la nature de leur activité (manufacturière, de service, de recherche, etc.), les buts poursuivis (organisations à but lucratif et à but non lucratif ), la forme de propriété (organisations privées et organisations publiques).

Ce sont là des critères d'ordre qualitatif, largement utilisés, mais les critères quantitatifs sont également d'usage courant. Par exemple, le critère de taille est très souvent considéré comme un élément essentiel de distinction, propre à expliquer les modes d'agencement des organisations, lesquels seraient fonction de différents seuils de taille ou de la position sur un continuum. Ce critère tient en fait une place centrale dans la théorie positiviste de l'organisation qui se caractérise notamment par l'explication des dispositifs organisationnels à partir de facteurs en quelque sorte matériels.

A l'opposé, les typologies multidimensionnelles croisent plusieurs dimensions considérées comme pertinentes pour reclasser les organisations.

Remarque

Bien entendu, pour pouvoir parler de typologie multidimensionnelle il faut que les dimensions retenues soient indépendantes. Le fait de croiser plusieurs aspects d'une même dimension ne donne qu'une apparence de multidimensionnalité.

Le plus souvent les propositions conceptuelles de cet ordre ne mobilisent que deux ou trois dimensions. Il existe ainsi des propositions typologiques qui croisent la forme de pouvoir exercé par les dirigeants et le type d'engagement des participants à l'organisation, d'autres qui combinent nature des buts internes ou stratégiques de l'organisation et buts externes ou institutionnels qui lui seraient imposés par des acteurs extérieurs, d'autres encore qui s'intéressent à des configurations variables résultant de l'articulation des coalitions interne et externe qui sous-tendent l'organisation, etc.

Quant à la nature des dimensions prises en considération pour bâtir une typologie, elle entretient une relation étroite avec la vision théorique que l'on peut avoir de l'organisation.

Certains essais typologiques privilégient un aspect des relations sociales internes des organisations pour expliquer l'ensemble de leurs caractéristiques, voire la nature des relations qui sont entretenues avec l'univers extérieur. Les propositions correspondantes sont assez variables, chaque concepteur ayant un point de vue particulier sur la nature du facteur intra-organisationnel à considérer en priorité. Ce sera, par exemple, le type de pouvoir qui s'exerce au sein de l'organisation, son fondement, ses manifestations, ou bien la nature des stimulants ou des incitations qui sont offerts aux participants et celle des récompenses qu'ils reçoivent en échange de leur implication.

D'autres propositions se focalisent sur la relation de l'organisation globale avec son environnement et introduisent de cette façon l'explication des processus et problèmes qui apparaissent dans l'organisation elle-même. Cette catégorie peut encore se décomposer en deux formes, selon que la variable indépendante utilisée représente l'influence de l'environnement sur l'organisation ou, à l'inverse, l'apport de l'organisation à son environnement. La première solution revient à considérer que ce sont les pressions extérieures qui expliquent la forme de l'organisation. Les essais correspondants identifient les problèmes auxquels les organisations doivent s'adapter pour survivre et prospérer, en adoptant les modes d'agencement appropriés. D'où le fait que cette démarche produit davantage de typologies de modes d'agencement que de catégorisations des organisations en tant qu'entités.

Remarque

Un courant de théorie des organisations connu sous l'appellation de « théorie de la contingence » est particulièrement représentatif de cette façon de considérer les organisations.

La seconde solution consiste plutôt à prendre en considération le rôle de l'organisation dans le système social global. Elles proposent un bon nombre de catégorisations des organisations qui sont devenues de véritables classiques, notamment les essais typologiques sur la base des fonctions de l'organisation, ou bien encore par référence à la catégorie d'acteurs qui bénéficient principalement de l'activité de l'organisation et de ses résultats. La difficulté générale que l'on rencontre dans ce type d'essai typologique est d'établir la nature de la production de l'organisation lorsque le résultat correspondant est plus abstrait que la production de biens ou la fourniture de services.

En définitive, on dispose de multiples essais typologiques, certes utiles, mais pas d'une forme finale de classement des organisations. Ces essais correspondent le plus souvent à ce que l'on appelle des classifications spéciales, c'est-à-dire des classifications consistant en groupes monothétiques dont tous les membres doivent posséder tous les attributs utilisés pour définir chaque catégorie. Les classifications générales, à base de groupes polythétiques dont les membres possèdent la plupart plutôt que la totalité des caractéristiques pertinentes, font encore largement défaut. Elles seraient pourtant plus aptes à saisir la complexité des organisations et à permettre des analyses sur la base de continuum plutôt que de types purs ou idéaux qui n'évitent pas toujours les biais de la caricature.

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